La bienveillance est souvent considérée comme un pilier essentiel pour instaurer un climat de confiance au sein d’une équipe. Être à l’écoute, manifester de l’empathie et soutenir ses collaborateurs dans leurs difficultés contribuent effectivement à renforcer le sentiment d’appartenance et la cohésion. Pourtant, certaines personnes estiment qu’une bienveillance trop poussée pourrait conduire à une forme de laxisme ou de manque de challenge, risquant alors de faire baisser la motivation.
Je me considère comme une personne bienveillante, parfois un peu trop empathique, au point que l’humeur de mes collaborateurs influence souvent fortement mon management. Malgré cela, je reste très exigeant, tout en cherchant constamment à me positionner davantage comme un accompagnant plutôt que comme un chef.
Comment conjuguer ces deux réalités ? La bienveillance est-elle réellement un risque pour la performance, ou au contraire, un levier indispensable pour entretenir la motivation et l’engagement ?
Dans cet article, je souhaite partager mon expérience, mes réflexions avec du recul, et mes états d’âme sur le sujet.
1. Les bénéfices d’une attitude bienveillante
1. Amélioration du climat de travail
Une atmosphère de respect et de soutien mutuel facilite les échanges et la collaboration. Les salariés se sentent écoutés, compris, et ont davantage confiance en leurs pairs et en leur hiérarchie.
De ma propre expérience, j’ai toujours donné le meilleur de mes compétences lorsque je faisais face à une direction à l’écoute et à des managers en qui j’avais pleinement confiance. Me sentir écouté(e) a considérablement renforcé mon engagement et m’a rendu plus attentif aux performances et aux résultats de l’entreprise.
Je m’efforce donc d’appliquer dans mon propre management ce qui m’a paru positif, tout en veillant à ne pas reproduire les éléments négatifs que j’ai pu vivre auparavant.
2. Renforcement de la confiance et de la sécurité psychologique
La bienveillance encourage l’expression libre des idées, des doutes et des échecs, sans crainte d’être jugé. Elle crée ainsi un espace d’essai-erreur, propice à l’innovation et à l’amélioration continue.
Étrangement, la méthode américaine semble plus encline à accepter et à gérer les erreurs que notre culture française, qui a tendance à pointer systématiquement les fautes sans valoriser l’effort de les avoir tentées. J’observe souvent que les collaborateurs internationaux se tournent plus volontiers vers l’expérimentation, probablement parce qu’ils sont plus à l’aise avec l’échec, considérant l’erreur comme partie intégrante du processus de travail. Quant à nous, Français, malgré notre esprit à la fois créatif et rationnel, nous gagnerions à nous ouvrir davantage et à oser, même lorsque l’échec est possible.
3. Fidélisation et engagement des collaborateurs
Les employés qui travaillent dans un environnement bienveillant sont souvent plus enclins à s’impliquer durablement dans l’entreprise. Leur motivation se nourrit d’un sentiment de reconnaissance et de respect.
Malgré cette apparente certitude, il subsiste un point noir : la nouvelle génération semble traiter le travail comme n’importe quelle autre occupation. Un emploi est perçu un peu comme un t-shirt que l’on peut remplacer à volonté, sans se soucier des conséquences, notamment environnementales. De la même manière, les relations professionnelles sont soumises à une logique « Kleenex », où l’on privilégie toujours le meilleur prix ou la solution la plus simple, sans véritable affect ni implication personnelle, puisqu’on estime que cela n’en vaut pas la peine. Cette tendance se traduit par des salariés parfois démotivés, davantage centrés sur les avantages auxquels ils estiment avoir droit que sur la contribution réelle de leur travail à l’effort collectif.
2. Les limites potentielles d’une bienveillance « excessive »
1. Perte de repères et manque de challenge
Si la bienveillance s’accompagne d’une absence totale d’exigences, les collaborateurs risquent de ne plus se sentir stimulés. L’absence de critères clairs et de retours constructifs peut nuire à leur développement professionnel.
De nos jours, les sphères professionnelle et personnelle sont étroitement imbriquées, contrairement à ce que j’ai pu comprendre du passé à travers de longues discussions avec des proches plus âgés. Autrefois, on séparait nettement le travail de la vie privée, alors qu’aujourd’hui on sait qu’une même personne ne peut pas endosser deux rôles radicalement différents en permanence. Le travail occupe une place considérable dans notre temps éveillé (voire même dans nos pensées nocturnes), ce qui rend cette scission totale de plus en plus illusoire.
Je vous conseil au passage la serie « Severance » sur apple TV, dystopique et effrayante à souhait sur le monde du travail et cette idée de séparation entre le moi travailleur et le moi de tous les jours
2. Risque de confusion entre bienveillance et “gentillesse sans exigence”
La bienveillance ne doit pas être confondue avec un laisser-faire systématique. Des retours honnêtes, y compris les points d’amélioration, sont indispensables pour permettre la progression individuelle et collective.
Un management bienveillant doit absolument faire preuve de transparence lors de l’évaluation des performances des collaborateurs. J’ai souvent constaté que, malgré la complexité — et parfois la dureté — de certains retours sur un manque de performance, d’autonomie ou de collaboration, cela prouve avant tout que l’on se soucie du collectif et que l’on reste attentif à chacun. À partir du moment où la remontrance est constructive, étayée par des faits, des exemples et des solutions concrètes, un collaborateur peut se remettre en question et faire les efforts nécessaires.Cependant, certains collaborateurs n’acceptent pas toujours la critique et peuvent la contester avec vigueur, en avançant toutes sortes de justifications. Selon moi, il est essentiel que le manager écoute ces points de vue divergents, argumente ses propos et admette qu’il peut se tromper. Néanmoins, si le manager en arrive à la conclusion qu’un problème existe réellement, il doit s’employer à le résoudre conjointement avec le collaborateur concerné. Se contenter d’une simple discussion ne suffit généralement pas : qu’elle soit acceptée ou rejetée, elle doit s’accompagner d’actions concrètes, d’un suivi rigoureux et d’un véritable soutien.
3. Baisse du niveau de performance
Lorsque personne n’ose pointer du doigt les dysfonctionnements ou les erreurs, il devient difficile de corriger le tir. Une bienveillance mal comprise peut parfois freiner la mise en place de processus d’amélioration.
Note personnelle : Au-delà de l’impact individuel, le manque de performance non relevé a également des répercussions sur le collectif. Dans une démarche bienveillante, il est essentiel de veiller à ce que l’ensemble des collaborateurs donne le meilleur d’eux-mêmes. D’un point de vue humain, si l’on constate du laxisme chez l’un ou plusieurs membres de l’équipe, on peut vite se demander : « Pourquoi faire des efforts ? ». En réalité, il suffit parfois d’une seule personne pour faire baisser la performance de tout un groupe. Il est rare que chacun se juge et se motive uniquement en se basant sur ses propres critères ; la comparaison avec les autres joue souvent un rôle déterminant.
3. Réconcilier bienveillance et exigence
Pour lever la contradiction entre bienveillance et performance, il est crucial de trouver un équilibre :
1. Instaurer des objectifs clairs et stimulants
La bienveillance n’exclut pas la mise en place de défis ambitieux. Au contraire, fixer des objectifs atteignables mais motivants nourrit le goût de l’effort et le sentiment d’accomplissement.
2. Offrir un feedback honnête et constructif
• Bienveillance = prendre soin de la relation.
• Exigence = donner des retours précis et francs, souligner les axes d’amélioration.
Le retour constructif respecte la personne, tout en mettant en avant les pistes d’évolution.
J’ai actuellement 45 ans. Il m’est arrivé de diriger des personnes ayant parfois 10 ou 15 ans d’expérience de plus que moi. Dans certaines situations, je me suis retrouvé face à des comportements presque enfantins, avec des remarques dignes d’une cour de récréation. Peu importe l’âge, je suis convaincu que nous pouvons tous faire preuve de maturité ou, au contraire, d’immaturité. Nous devons chacun, en tant qu’individu, gérer cette contradiction, qui, je l’imagine, existe chez tout le monde. Je la vis également, mais en tant que manager, je me dois de revêtir mon « costume » de personne responsable et d’accompagner mes collaborateurs de la même manière, quel que soit leur âge ou leur degré de maturité vis-à-vis du sujet que nous abordons.
3. Encourager l’autonomie et la responsabilisation
Favoriser la prise d’initiatives et la liberté de proposer des idées renforce la confiance en soi et l’implication. En parallèle, la responsabilisation incite chacun à évaluer ses propres résultats et à adapter sa démarche.
4. Valoriser à la fois la réussite et l’apprentissage de l’échec
Une équipe bienveillante reconnaît les accomplissements, et considère l’échec comme une opportunité de grandir. Cette approche évite de tomber dans le piège de la complaisance tout en réduisant la peur de l’erreur.
4. Conclusion
La bienveillance ne se limite pas à “être gentil” ; elle consiste surtout à respecter et à considérer l’autre dans son individualité, tout en maintenant un niveau d’exigence élevé et constructif. Lorsqu’elle est bien comprise et bien appliquée, elle offre un environnement de travail enrichissant, où chacun est encouragé à progresser dans un cadre sécurisant mais exigeant.
Ainsi, la bienveillance peut parfaitement coexister avec la performance et la motivation : il suffit d’adopter une posture d’écoute, de feedback constructif et de challenge sain. Cette conciliation repose sur la clarté des objectifs, la reconnaissance des contributions, et le maintien d’un dialogue ouvert pour que chacun se sente à la fois encouragé et responsabilisé.
En résumé, la bienveillance bien dosée, accompagnée d’exigence et de retours réguliers, constitue un atout majeur pour favoriser un climat de confiance, élever le niveau de performance et stimuler la motivation. Elle n’aboutit pas à un effet négatif si elle s’inscrit dans un cadre où l’on valorise l’amélioration continue, la responsabilisation et la sincérité dans les échanges.
Pour aller plus loin : Sources et références
Pour approfondir les différentes thématiques abordées dans cet article et découvrir d’autres points de vue, vous trouverez ci-dessous une liste d’articles et de ressources complémentaires. Elles vous permettront d’explorer plus en détail les questions liées à la bienveillance, à l’exigence et à la performance au travail.
1. ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail)
• Management bienveillant : un atout pour la qualité de vie au travail ?
Cet article aborde la notion de management bienveillant et son impact sur la qualité de vie au travail, tout en soulignant l’équilibre nécessaire entre respect, empathie et performance.
2. My Happy Job
• Management bienveillant : la force du collectif
Un témoignage et des conseils pratiques pour mettre en place un management bienveillant tout en préservant l’exigence et la cohésion d’équipe.
3. Les Echos
• La bienveillance au travail : un levier de performance
Cet article souligne la manière dont la bienveillance peut être un véritable levier de performance, et non un simple concept « sympathique » ou un frein à l’efficacité.
4. Harvard Business Review
Bien que cet article ne traite pas spécifiquement de la “bienveillance”, il explique l’importance de soutenir ses collaborateurs (via un feedback positif ou constructif) pour maintenir leur motivation et leur engagement.
• Why Compassion Is a Better Managerial Tactic Than Toughness
Explique comment la compassion (une forme de bienveillance) peut améliorer la performance de l’équipe, tout en préservant la responsabilité individuelle de chacun.
5. Forbes
• How Practicing Empathy At Work Improves Leadership And Business
Un article qui met en avant l’importance de l’empathie dans le leadership et la manière dont elle peut favoriser la réussite collective, sans nuire à la performance.
6. Deloitte Insights
• The workforce ecosystem: Managing beyond the enterprise
Bien qu’il ne parle pas uniquement de la bienveillance, cet article évoque la nécessité d’adopter des méthodes managériales plus humaines et flexibles pour répondre aux attentes et maintenir la performance.